Vendredi 4 juin. Installation de ta galerie. Enfin. Tu en avais tellement envie. Inauguration, vernissage. Photos dans la presse, les dernières. Grand succès. Ta propre galerie, chez toi, à L’Isle-sur-la-Sorgue, toi qui détestes tant les galéristes, ces proxénètes de l’art, comme les éditeurs de l’écrit, on est bien d’accord là-dessus. Mauvaise expérience avec Super Chien, ils avaient essayé de te rouler. Quand tu en parles — il y a prescription pourtant —, tu te mets toujours en colère.
Jeudi 3, mercredi 2, dimanche 30. Vendredi 21 mai. À Brignan, avec François, le bonheur de passer du temps avec toi, avec vous deux ; on refait le monde, on parle de Strahler, peintre le roman de François qui évoque ta villa Médicis. Cet appel vidéo tous les trois avec Guillaume sur l’écran, la bouteille de Cardhu à la main. Et Louis, qui a travaillé ici avec toi pendant un an, est passé pour solliciter ton avis sur une histoire de mise en page du catalogue de PLAN B Éditions dont tu as trouvé le nom et dessiné le logo. Tu es à fond, pied au plancher, comme toujours, en pleins préparatifs pour l’accrochage qui approche, avec Thomas qui t’accompagne depuis deux ans.
Samedi 5 juin, urgences. Et lundi 14, sans crier gare, tu te tires dans une fulgurance inouïe.
Fulgurant, c’est bien toi. Un homme en ébullition. Déterminé, avide et curieux de tout, de toute forme d’expression, curieux des autres. Libre, absolument libre, je ne connais personne d’aussi libre que toi. Je t’envie. Tu ne lâches jamais rien et tu as raison. Ta cote, tu t’en fous, tu pourrais palper deux, trois fois plus. On en parle souvent ; un marchand d’art à Paris, à Bruxelles, à Berlin, un autre à New York — ce serait facile avec Jérôme — mais non, ils t’énervent trop et une fois pour toutes tu as décidé de tracer ton propre sillon. Et ça marche. Chapeau Maestro.
Les années passées tu as taffé comme jamais. En dix-neuf, Trévise t’a touché dans ta chair ; heureusement, ni Maud, ni toi, ni personne n’y étaient. C’était le moment où les nuits on composait ensemble mon bouquin et Annaïs qui passait de temps en temps nous apporter à manger, et tu me montrais les plans animés incroyables de l’appart que tu avais créés en 3D pour les assurances : du lard pour les cochons, jamais ils ne comprendront et ça t’a pourri la vie. En 20-21, ta galerie en ligne avec Thomas et Jean-Louis, sorte de catalogue raisonné de ton travail skerzophrénique — tu sais, cette petite folie créatrice à trois temps qui est la tienne, celle de Raphaël, de Paolo et de Klaus. Un aboutissement ? Un nouveau début, dis-tu. Déposer le passé quelque part pour voyager léger plus loin que l’horizon.
Fulgurant donc, déterminé, curieux. Fiable, c’est si rare. Séduisant, drôle, jouisseur, fidèle, malin. Colérique. J’ai beau chercher je ne trouve pas d’autres défauts. Soupe au lait ? Énervé ? Pressé ? Sont-ce des défauts ? Mais Gé-né-reux, ça je sais. Généreux de toi-même. Oui, généreux de toi-même, pour l’Autre, l’humain, ton frère. Généreux de cette énergie que tu nous transmets à tous, encore. Tu nous a tout donné, tu nous laisses tout, comme ça, en plan, débrouillez-vous. Fin de partie. Beckett encore : L’Innomable ; voilà ce qui nous échoie.
Raphaël, personne ne peut croire que tu n’es plus. Et tout le monde a raison de ne pas le croire car tu ES, et tu seras toujours cet atome d’énergie bienveillante et inépuisable, désormais constitutif de notre Être, que tu as planté en nos âmes le jour même où nous t’avons rencontré pour la première fois. Tu nous aides à faire face et à avancer. Soyons dignes de toi.
Raphaël, te rappelles-tu cette chanson italienne des années soixante, interprétée par cette adolescente que toi et moi trouvons toujours aussi belle cinquante ans après. Te rappelles-tu non ho l’éta ? Non ho l’eta per uscire sola con te ? Raphaël, toi non plus, tu n’avais pas l’âge.
Raphaël, très cher Raphaël, toi qui es né à Tunis en 1972, tu sais ce que disent les musulmans : Al baqi fi hayatak. Le reste de ta vie demeurera dans les nôtres.